(Publié le 2 juin 2025)
« Le musette est issu de la rencontre des musiciens auvergnats et italiens ». Si cette assertion répétée à l’envi n’est pas inexacte, la réalité historique est plus complexe. Que sait-on aujourd’hui des origines du bal musette ? Quel rôle jouèrent la communauté auvergnate d’une part et la communauté italienne d’autre part dans la genèse du genre musette ? Comment est-on passé du bal musette tel qu’il existait au milieu du XIXe siècle, lieu de divertissement des Auvergnats de Paris, au bal musette de l’entre-deux-guerres, synonyme d’un bal populaire à l’accordéon avec des danses urbaines emblématiques telles que le fox-trot, le tango musette ou la java ? La java est-elle d’ailleurs une danse typiquement parisienne, comme on le dit parfois ? Au fil de cette longue histoire qui s’étale sur plusieurs décennies, comment faire la part entre les certitudes, les légendes et les zones d’ombre qui méritent encore des enquêtes approfondies ? Répondre à toutes les questions que l’on peut se poser sur les origines du bal musette et les multiples mutations qui s'ensuivent relève de la gageure. Cet article se propose donc plus modestement de faire le point, sur ce que l’on sait mais aussi sur ce que l’on ignore encore.
Quand apparaissent les bals musette à Paris ? S’il existe déjà à la fin du XVIIIe siècle des bals dans la capitale où les immigrés du Massif central dansent au son de la musette(1), la mention de « bal-musette » est attestée au début du XIXe siècle : « Pour désigner les bals auvergnats on utilisait souvent le terme de bal à la musette, mais en 1823 on trouve dans « Dictionnaire de Police Moderne – formulaires de déclarations » le terme de « bal musette » pour désigner les petits bals souvent auvergnats, en opposition aux grands bals parisiens, les bals « français »... »(2).
Dans la première moitié du XIXe siècle, de façon quasi-exclusive, le répertoire dansé des bals musette tenus par les Auvergnats est régional, tandis que les bals publics proposent un répertoire plus moderne, plus urbain.
Dans les années 1840, la déferlante des nouvelles danses de couple vient bouleverser le bal public. Polka, mazurka et scottish, pour ne citer que les nouvelles danses les plus populaires, viennent s’ajouter à la valse et vont progressivement s’imposer comme les principales danses appréciées des Parisiens, avec le quadrille qui va résister encore quelques décennies.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on danse donc très souvent en couple au bal public, tendance qui s’implante aussi de façon progressive dans les bals musette des Auvergnats avant 1900. Cette évolution ne manquera pas de faire réagir certains observateurs qui redoutent que le répertoire des fanfares et des cafés-concerts fasse à terme disparaître le répertoire régional traditionnel. Ainsi, en 1891, lors d’un concours de cabrette(3) à Aurillac, Jean Ajalbert exprime sa déception quant aux mélodies interprétées : « Nous écoutions, nous prenions des notes pour le classement… Tout de même, ils étaient trop – et puis, ils ne voulaient pas s’en tenir à leur répertoire rustique, ils s’attaquaient à des airs d’opéra, à des rengaines de café-concert ! »(4)
Alors que les bals publics sont réservés à une population relativement aisée et que les dimensions de la piste de danse sont importantes (ce qui implique d’avoir des petits orchestres permettant d’obtenir un volume acoustique adapté à la taille de la salle), la clientèle du bal musette est en revanche beaucoup plus populaire et la piste d’un bal musette, de taille très modeste, permet d’accueillir une dizaine de couples, rarement davantage ; quant à l’orchestre, il se résume souvent à un seul musicien, en général un joueur de cabrette.
À partir des années 1870 mais surtout des années 1880, la population parisienne change, la nouveauté étant la part croissante d’immigrés provenant de pays limitrophes, grâce au développement du chemin de fer notamment : Italiens, Espagnols, Allemands… C’est dans ce contexte qu’arrivent à Paris les premiers accordéons diatoniques de facture industrielle allemande ou italienne, alors que, dans le même temps, la colonie auvergnate à Paris ne cesse de se développer. En 1911, il y a environ 100 000 « Auvergnats de Paris ».
En France, l’accordéon de facture industrielle, instrument relativement bon marché, est intégré rapidement dans les bals populaires à la fin du XIXe siècle, tant dans les campagnes que dans les villes. À Paris en particulier, beaucoup des premiers accordéonistes populaires sont d’origine italienne. Le bal solo à l’accordéon est déjà attesté dans la capitale en 1879 : « Nous connaissions les bals populaires où l’orchestre se compose de deux ou trois instruments de cuivre, trombones et pistons ; de même, nous n’ignorions pas qu’il y a à Paris nombre de « bals-musette » dont le nom seul désigne le genre d’orchestre (…). Mais nous n’avions pas encore rêvé le « bal-accordéon ». Il existe cependant (…), vous trouverez facilement le « bal-accordéon » dans une petite rue avoisinant les Halles, près de la rue Saint-Honoré. Avis aux amateurs. »(5)
Si les bals populaires à l’accordéon se développent au cours des années 1880 et 1890 à Paris, ce n’est pourtant pas le terme de « bal-accordéon » proposé ci-dessus qui va s’imposer, mais bien celui de « bal-musette ». Un glissement sémantique s’opère et désigne assez rapidement n’importe quel petit bal populaire, et non plus seulement un bal dans lequel on danse au son de la musette, comme le remarque amèrement Jean Richepin en 1882 : « Il faut réhabiliter les bals-musette, que les chroniqueurs de chic s'obstinent à représenter comme des rendez-vous de malandrins, souteneurs, escarpes et autres rôdeurs de barrière (…). Sans doute, le long des boulevards extérieurs, au bas de Ménilmontant, de la Villette, de Montmartre et de Montparnasse, il y a des bals-musette comme ceux dont parlent les chroniqueurs de chic, des bouges où se rassemble la racaille de l'égout (…). Mais peut-on appeler bals-musette ces bals où il n'y a plus d'Auvergnats, où même, la plupart du temps, il n'y a plus la musette, instrument trop doux, que remplace le strident et brutal cornet à pistons ? »(6) Notons que Jean Richepin ne mentionne pas l’accordéon ici, ce qui conduit à penser que les bals à l’accordéon sont encore relativement rares en 1882, à l’inverse des bals populaires non régionaux dans lesquels on mène la danse au son des cuivres.
Ce sens élargi du terme de « bal musette » déplaît fortement à une partie de la colonie auvergnate à Paris qui s’inquiète des retombées économiques potentielles mais aussi de la bonne réputation des Auvergnats de Paris, ces nouveaux bals musette ternissant l'image des respectables « bals des familles » auvergnats et étant considérés comme des repaires de délinquants et de prostituées : « Dans nos bals-musette, autrefois, la musette, comme le titre même du bal le voulait, régnait en maîtresse. Le propriétaire du bal était largement rémunéré par le prix des consommations ; le musicien, lui, chargé de tous les frais du reste, percevait le paiement des danses (…). Mais, par suite de mutations, quelques bals-musette subirent une transformation ; certains des nouveaux venus voulurent modifier les conditions ordinaires s’entretenant entre débitant et musicien ; ils voulurent toucher le prix des danses ; ils voulurent réduire l’artiste-musicien au rôle de salarié, de salarié mal payé surtout. Les musiciens, forts de leurs droits depuis si longtemps reconnus, résistèrent ; on les remplaça par des joueurs de piston ou d’accordéon, Espagnols, Allemands, Italiens, et travaillant à vil prix ; plusieurs bals-musette perdirent leur caractère, et leur clientèle auvergnate s’en alla pour faire place à une autre, que nous ne voulons pas qualifier... »(7)
Louis Bonnet, créateur de la Ligue Auvergnate et directeur du journal L’Auvergnat de Paris, apparaît dans plusieurs articles d’époque comme un défenseur acharné de l’utilisation stricte du terme « bal musette », même s’il reconnaît que la population parisienne a bien changé en cette fin de siècle et que de nouveaux loisirs émergent par conséquent : « Je sais parfaitement qu’il n’y a pas à Paris que des Auvergnats, des Limousins et des Berrichons ; je sais que de toutes les provinces françaises les travailleurs affluent en différentes proportions, mais toujours nombreux vers la capitale, et qu’il en vient même d’au-delà de la frontière à qui la grande ville accorde une généreuse hospitalité. Pourquoi obligerions-nous tous ces braves gens (…) à ne danser que des bourrées au son de la musette ? Nous demandons la liberté pour nos amusements ; nous demandons la liberté aussi pour les amusements des autres. » Cependant, Louis Bonnet poursuit en exprimant ses revendications quant à l’emploi du terme « bal musette » : « Mais nous pouvons bien exiger de la préfecture de police qu’elle n’accorde pas de permission de bal-musette à un bal où l’on ne jouera pas la musette. Qu’elle donne aux autres bals la dénomination qu’il lui plaira. Nous n’y voyons aucun inconvénient ; nous voulons simplement que le bal musette ne soit que celui où l’on danse au son de la musette. » Plus loin, Louis Bonnet fait même des propositions de terminologies alternatives, non sans mépris pour le public de ces bals sans Auvergnats : « Que les tenanciers de ces bals spéciaux prennent l’enseigne qu’ils voudront, qu’ils s’intitulent bal gigolo ou bal laripette, mais pas bal-musette, et nous n’aurons plus à nous occuper d’intérêts qui n’auront rien de commun avec le bon renom de la colonie. »(8)
Progressivement, ces querelles autour de l’attribution du terme « bal musette » à des bals sans cabrette vont s’apaiser. D'une part parce que, en matière d’évolution linguistique, il n’y a guère de retour en arrière possible, quelles que soient les véhémences réactionnaires : l’usage fait loi et le terme échappe à ceux qui s’en estiment détenteurs. D'autre part parce que l'accordéon plaît aux Auvergnats de Paris : dans le quartier de la Bastille, quartier essentiellement fréquenté par des natifs du Massif central à la Belle Époque, la première association de la cabrette et de l’accordéon a lieu vers 1903, rue de Lappe, avec Antoine Bouscatel et Charles Péguri ; par ailleurs, Géraud Sudre, cabretaire mais également excellent joueur d’accordéon diatonique originaire d’Aurillac et propriétaire d’un bal situé au 14 rue des Taillandiers, est le premier à enregistrer de la musique traditionnelle d’Auvergne à l’accordéon en 1906.
D’autres accordéonistes de la colonie auvergnate à Paris, tels Henri Momboisse, Louis Clavières ou Adrien Bras, jouent dans les bals musette antérieurs à la Première Guerre mondiale. Signalons également que l’accordéon anime déjà des bals dans le Massif central depuis la fin du XIXe siècle. Progressivement, l’accordéon fait danser les Auvergnats de Paris au même titre que la musette, avec le même répertoire : valses, mazurkas, scottishes, polkas, marches et bourrées. Si les danses pratiquées ne sont plus exclusivement traditionnelles depuis plusieurs décennies, il en va de même pour les mélodies. En effet, les musiciens de bal piochent souvent des airs provenant de la musique de kiosque mais surtout de la chanson de café-concert.
La présence de ce répertoire moderne est attestée chez plusieurs joueurs renommés de cabrette à Paris(9). Ces derniers influencent aussi le jeu des accordéonistes de l’époque par la
présence de rappels à la dominante inférieure, une technique connue des cabretaires sous le nom de « picotage » qui permet de bien détacher les notes de la mélodie. Cette technique issue de la
cabrette est utilisée comme variation par les accordéonistes et sera même utilisée dans certaines compositions d’accordéonistes musette de l’entre-deux-guerres. Enfin, signe ultime d’apaisement
entre accordéonistes et cabretaires, Charles Péguri devient au début de l’année 1914 le premier accordéoniste à présider la Mutuelle des bals musette, alors que tous ses prédécesseurs étaient des
cabretaires.
L’importance des bals de la colonie auvergnate ne doit toutefois pas faire oublier celle des bals musette qui ne sont pas fréquentés par les originaires du Massif central. Ces bals, qui se développent à grande vitesse entre 1880 et 1914, ne sont pas destinés à une communauté en particulier et accueillent une nouvelle population cosmopolite, des personnes d’origine étrangère mais aussi des Français issus de toutes les provinces. Si on peut y entendre des pistons, des clarinettes ou des violons à la fin du XIXe siècle, l’accordéon s’impose progressivement dans ces bals populaires parisiens du début du XXe siècle.
Le bal situé au 65 rue des Gravilliers est l’un des plus célèbres ; André Warnod nous en donne une description en 1912 : « L’orchestre est très primitif. Il se compose, en tout et pour tout d’un homme et d’un accordéon. Il est vrai que l’instrumentiste déploie une virtuosité non pareille, que l’accordéon est un instrument très complet par lui-même et que celui-ci est agrémenté de colliers à grelots qui, fixés aux jambes du musicien, scandent les airs et marquent les temps des valses et des polkas (…) Il joue des airs de café-concert agrémentés de mille fioritures... »(10) Le nom de l’accordéoniste ici n’est hélas pas connu, mais Warnod confirme la place importante des mélodies de café-concert interprétées de façon instrumentale dans le répertoire des bals musette à l’accordéon. En outre, il donne une indication intéressante sur le style du musicien en constatant l’importance des « fioritures » ; or, la place des ornements (triolets, trilles, trémolos…) sera centrale dans le style musette de l’entre-deux-guerres à l’accordéon.
Un autre bal très réputé à l’époque est celui animé par le jeune Émile Vacher, virtuose de l’accordéon et un des créateurs du genre musette. Vacher joue d’abord au Bal Delpech à Montreuil puis au Bal de la Montagne dans le quartier de la Sorbonne. Sans surprise, de nombreuses mélodies de café-concert et de musique de kiosque sont présentes dans son large répertoire, qu’il enregistre à partir des années 1920. Jouant à ses débuts sur un accordéon entièrement bisonore(11), il opte par la suite pour un système mixte, unisonore à gauche mais bisonore à droite afin de ne pas avoir à réapprendre un nouveau doigté pour jouer les mélodies. Vacher développe sur ce système un phrasé détaché, très tonique, y compris dans les passages d’extrême vélocité, ce qui suscite une grande admiration chez les autres accordéonistes. Ce phrasé détaché, copié après la Grande Guerre par les musiciens jouant sur accordéon chromatique entièrement unisonore, va devenir le phrasé typique du musette parisien, immédiatement reconnaissable et distinct du phrasé dit « italien », beaucoup plus lié.
Cependant, la place incontestable des Auvergnats de Paris et d’Émile Vacher dans la naissance du musette ne doit pas faire oublier que l’accordéon est particulièrement répandu dans le Paris de la Belle Époque chez les musiciens issus de la diaspora italienne.
En 1871, la mise en service du tunnel ferroviaire de Fréjus permet d’aller à Paris en train depuis Turin. Dès lors, l’arrivée des Italiens – en France d’une façon générale et à Paris en particulier – est massive ; selon les services italiens, ils sont « 1,8 millions à avoir franchi les Alpes entre 1873 et 1914 »(12). Cette migration touche particulièrement l’Italie septentrionale : « Les Italiens qui franchissent les Alpes sont pour huit sur dix d’entre-eux originaires du Nord de la Péninsule. En 1914, ils sont Piémontais à 28% dont une très large part de la province frontalière de Cuneo. Viennent ensuite des Toscans (22%), les Lombards (12%) et les Émiliens. Les Méridionaux sont peu nombreux sauf à Marseille où les pêcheurs napolitains forment une communauté bien structurée. »(13)
Parmi les nombreux Italiens du nord qui migrent vers Paris à la Belle Époque, des accordéonistes sont bien sûr présents, comme l’attestent plusieurs articles de journaux qui ne citent hélas quasiment jamais le nom des musiciens italiens dont il est question. La musique populaire italienne de l’époque, très appréciée à Paris – plusieurs chansons napolitaines sont par exemple adaptées pour le café-concert avec des paroles en français – se caractérise notamment par une utilisation plus fréquente du mode mineur. L’alternance du mineur et du majeur au sein d’une mélodie est courante, alors qu’elle est relativement rare dans les compositions parisiennes avant 1914. C’est à cette époque que certains accordéonistes français intègrent des mélodies italiennes à leur répertoire, telles que « Speranze Perdute » (Morelli) et « Rosina » (Miccio) chez Émile Vacher ou encore « ’O Marenariello » (Gambardella) et « La Bonita Chilena » (Cerato) chez Adrien Bras. Ces mélodies sonnent comme exotiques aux oreilles des Parisiens mais s’intègrent sans difficulté dans les bals musette de la capitale. Par ailleurs, les frères Charles et Michel Péguri, nés en France mais familiers de la culture italienne avec leur père accordéoniste Félix Péguri originaire du Piémont, composent avant 1914 des mélodies qui annoncent l’esthétique musette de l’entre-deux-guerres, comme « Mandolinette » de Charles Péguri – qui imite déjà en 1907 le trémolo de la mandoline à l’accordéon, effet qui sera ensuite repris par de nombreux accordéonistes musette – ou « Bourrasque » de Michel Péguri, futur standard du musette enregistré pour la première fois en 1909 par les frères Péguri.
Inévitablement, les Italiens du nord continuent à danser quand ils arrivent à Paris. Ces derniers ont une façon particulière d’exécuter la valse que l’on retrouve dans le liscio, équivalent du musette en Italie septentrionale. Les déplacements s’effectuent beaucoup en ligne droite avec un allongement du premier pas sur chaque mesure à trois temps ; ce pas du premier temps se trouve être tantôt à droite, tantôt à gauche, donnant une légère impression de balancier. La valse musette parisienne, en revanche, est davantage tournée, et tout effet chaloupé est proscrit. Ainsi, vers 1900 à Paris, coexistent deux manières de danser la valse dans les bals musette : « Oh ! La valse ! Des tables se détachent les couples qui viennent au milieu de la salle en « suer une » (danser). La valse, c’est l’intense joie des gigolettes, où crânent les fines valseuses, qui regardent avec dédain… les autres, celles qui dansent « à la Java ! », c’est-à-dire toutes les danses sur le pas de la polka. »(14) Il est difficile de savoir si les couples qui dansent ici « à la Java » sont d’origine italienne, mais l’hypothèse est à envisager, d’autant plus que la scène décrite dans ce bal musette situé boulevard Ménilmontant, La Tête de Cochon, se passe dans le 20e arrondissement où les Italiens sont nombreux. Signalons par ailleurs l’expression « faire la java », apparue en 1901 selon Émile Chautard, qui signifie « danser toutes les danses sur un pas de polka, en balançant les épaules et les bras »(15).
Le cas de la mazurka italienne est également fort intéressant. Dans ses multiples formes dansées en France vers 1900, la mazurka intègre le « pas de mazurka » qui comprend une surrection sur un pied, voire un saut léger. Musicalement, l’immense majorité des mazurkas françaises présentent une anacrouse(16), ce qui a pour conséquence que le pas de mazurka s’effectue lui aussi en amont du premier temps. À l’inverse, la mazurka italienne se caractérise par une absence d’anacrouse et par une absence du pas de mazurka : tous les temps sont marchés. Si la valse italienne se danse à petits pas comme la mazurka italienne, cette dernière comprend en outre un court arrêt simultané avec la musique, pieds joints, sur les fins de phrase musicale qui se terminent toujours par un accent sur le deuxième temps de la mesure. Or, les mêmes caractéristiques se retrouvent dans la plupart des javas. Louis Péguri et Jean Mag font également le rapprochement entre java et mazurka italienne en évoquant la façon de danser « à petits pas » sur la composition de l’Italien Enrico Miccio, « Rosina », qui est interprétée par l’accordéoniste Émile Vacher au Bal de la Montagne(17). Néanmoins, si Émile Vacher joue un rôle dans la popularisation de la java, il n’est pas le créateur de cette danse.
Émile Vacher arrive au Bal de la Montagne à la fin de l’année 1909 ; or, la java en tant que danse est mentionnée dès l’année 1900, non pas dans un bal musette de Paris comme on pourrait s’y attendre mais dans un bal public de Nogent-sur-Marne : « Connaissez-vous "La Java" ? Si jamais vous l’apprenez, ne la dansez pas dans les bals publics. Il pourrait vous en cuire. Alfred Feneyrol, gamin de dix-neuf ans, à qui on n’avait pas donné ces sages avertissements, pénétrait le mois dernier au bal Convert, bien connu des canotiers de la Marne. Il prenait rang parmi les danseurs (…) bientôt, laissant loin derrière lui les cancans et les chahuts les plus outrageants, il ne craignit pas d’aborder "la Java", que nous ne saurions décrire, mais qui est une danse de caractère, puisque, au dire des agents, elle en affecte un particulièrement obscène. »(18) On comprend aisément que la java est totalement incongrue dans un bal public à l’époque. Si la danse n’est malheureusement pas décrite ici, elle est jugée licencieuse, et le sera également dans les rares articles qui mentionnent la java au cours des premières années du XXe siècle. L’écrivain et journaliste Fabrice Delphi y voit une « danse crapuleuse, dans laquelle les hommes se dandinent comme des filles... »(19) ou encore une danse qui « offre (…) aux assistants l’occasion de compléter leurs études anatomiques »(20), quand d’autres y voient « une sorte de tango d’apaches »(21). L'imaginaire du Far West étant très en vogue à la Belle Époque, le terme « apache » est alors régulièrement employé à Paris pour désigner un voyou, un truand.
En 1908, un évènement va faire connaître la java à un public plus large : la création de la « Valse chaloupée ». Cette danse très spectaculaire, sorte de catch dansé mêlant java et figures acrobatiques, est créée par Max Dearly pour le music-hall sur une musique employant des motifs de Jacques Offenbach et n’est pas dansée en bal. Max Dearly a plusieurs partenaires pour cette création mais c’est surtout son duo avec Mistinguett au Moulin Rouge qui va marquer l’esprit des Parisiens. La « Valse chaloupée », aussi appelée « danse apache » car elle est « particulièrement brutale, assortie de gifles et de coups de poing, censée simuler la relation du souteneur et de la prostituée »(22), s’intègre parfaitement dans cette tendance de la Belle Époque à la fascination pour le milieu du banditisme baptisée « apachomanie ».
Cet attrait pour les voyous donne notamment naissance à la « tournée des Grands Ducs », un parcours touristique permettant aux bourgeois désirant s’encanailler de pénétrer dans des bouges pittoresques remplis de truands : « Les bandits sont extrêmement à la mode. Toutefois les bals d’apaches à domicile sont devenus vieux jeu. Quelques jeunes snobs ont trouvé mieux : ils vont voir les bandits chez eux. Les descentes aux Halles et les tournées, chères aux grands-ducs, dans les asiles de nuit sont banales, mais il est très bien porté d’aller au bal-musette voir danser la « Chaloupe » et la « Java ». Les uns vous recommandent le « Robinson » à la barrière Saint-Ouen, d’autres les « Gravilliers » (…) ; d’autres préfèrent « le bal des Assassins » à la Chapelle, où les apaches, un peu étonnés, vous reçoivent cependant avec la plus exquise urbanité. »(23) Flairant le filon et voulant donner à voir ce que les bourgeois recherchent, certains patrons d’établissement engagent alors des acteurs et des actrices jouant des rôles de voyous et de prostituées, la danse apache trouvant naturellement une place de choix à partir de 1908 dans ce divertissement voyeuriste qu’est le tourisme des bas-fonds, que ceux-ci soient authentiques ou reconstitués. C’est ainsi qu’apparaît un véritable folklore parisien autour des rapports de domination entre le proxénète et la prostituée, un imaginaire qui va se poursuivre après la Grande Guerre, venant probablement influer sur la façon de danser la java en bal musette.
Suite à l’extrême popularité de la « Valse chaloupée » dont les journaux d’époque se font l’écho, certains lecteurs s’étonnent de l’absence de référence à la façon de danser la valse à Marseille chez les émigrés italiens, envoyant aux rédaction des journaux des missives parfois teintées d'une xénophobie assumée : « Voulez-vous me permettre une rectification à l’entrefilet paru dans Comœdia le 20 courant, sous la rubrique « Échos », au sujet de la revue du Moulin-Rouge ? « Max Dearly et Mistinguett, écrit votre collaborateur, donnent une impressionnante image de la valse « chaloupée », reproduction exacte du pas favori des Nervis marseillais ! » Fi ! monsieur le chroniqueur, que vous êtes malheureux dans vos expressions ! Est-ce bien le nervi marseillais que vous avez voulu dire ? Sachez que le Marseillais se tient mieux que cela, et qu’il laisse ce genre de distraction aux Napolitains (dont Marseille regorge, hélas !) auxquels s’applique à bon droit l’épithète de nervi. »(24) Un autre témoignage évoque également l’Italie : « Je suis attentivement la polémique engagée par ceux qui revendiquent la paternité de la valse chaloupée. Voici mon opinion, qui pourra peut-être éclaircir ce différend chorégraphique : Mme Anna Dancrey et son frère, dans la revue merveilleuse des Folies-Bergère ; Moricey et Cassive à la Scala, dans la Valse violente, qui par la brusquerie de son interprétation devenait excessivement comique, furent les créateurs fantaisistes de valses ignorées du public, tandis que Max Dearly et Mistinguett ont simplement apporté à la scène la danse des bas-fonds marseillais, valse italienne, car son pays d’origine est celui de Caruso, et qui se danse depuis des années dans les bals-musette de Paris sous le nom de la Java. Donc ce n’est pas une création, mais une importation. »(25) Là encore, tout nous renvoie à l’origine italienne du pas observé dans la « Valse chaloupée ».
Cependant, s’il apparaît que le pas de java semble dériver du pas des Italiens sur les valses ou les mazurkas, une question demeure : comment est né le terme « java » pour désigner la danse à trois temps que l’on connaît ? Aucune certitude à l'heure actuelle mais deux hypothèses au moins paraissent plausibles. La première, formulée par l’accordéoniste Daniel Denécheau, est qu’il existerait un lien entre la façon de danser la java (ou « à la java ») d’une part et la façon de danser des Javanaises d’autre part. Lors des expositions universelles de 1889 et 1900 à Paris, le pavillon de l’île de Java rencontre un succès considérable avec ses danseuses et frappe véritablement les esprits. À propos des danseuses javanaises, André Hallays remarque que « leurs pieds glissaient sans que jamais leurs jambes ne fléchissent »(26), or valser « à petits pas » comme les Italiens suppose une certaine raideur dans les jambes. Des Parisiens de la Belle Époque ayant observé danser des Javanaises d’une part et des Italiens d’autre part auraient-ils perçu une certaine analogie entre ces deux façons de se déplacer ? L’autre hypothèse, avancée par Christian Van Den Broeck et Dominique Cravic, est que la java serait « la danse des gens qui parlent le javanais »(27), forme d’argot qui se développe à la fin du XIXe siècle à Paris, en particulier dans le milieu de la prostitution et du banditisme.
Si la java est bel et bien présente dans les bals musette de la Belle Époque, elle l’est uniquement dans les bals les plus louches, les plus malfamés. C’est la danse qu’affectionnent les gigolettes et leurs souteneurs, la danse des bas-fonds où, comme le résume l'historien Dominique Kalifa, règnent « la misère, le vice et le crime »(28). Considérée comme la danse de la pègre, la java ne deviendra réellement populaire qu’après la Grande Guerre.
Notons néanmoins que, en 1914 avec « La Danse Java », le compositeur Vincent Scotto est le premier à publier une mélodie dont le titre fait explicitement référence à la java. Quelques années plus tard, il affirme : « C’est moi qui ai composé la première java à Marseille au moment de la guerre de quatorze (…). Elle fut créée par Mistinguett et Milton dans une revue à la Cigale. C’était une dérivation des valses marseillaises qui se dansaient à petits pas avec un léger balancement »(29). En 1919, Rodor et Bertet écrivent des paroles sur la mélodie composée par Scotto avant la guerre ; cette chanson, créée par Georgel, connaîtra un certain succès.
Après l’interdiction des bals entre 1914 et 1919, le bal mené à l’accordéon triomphe et le répertoire des danses dans les bals populaires parisiens change rapidement. En 1919, le paso-doble (originaire d’Espagne) et le fox-trot (originaire d’Amérique du Nord) arrivent en France, d’abord dans les dancings puis rapidement dans les bals musette. Le tango, originaire d’Argentine et d’Uruguay, déjà présent dans les salons parisiens en 1913, fait lui aussi son entrée au bal musette au début des années 1920. Il faut attendre 1922 pour voir apparaître les premières véritables javas dans la chanson française telles que « La vraie de vraie » (Ronn / Daniderff), créée par Mayol, ou « La Java » (Willemetz / Jacques-Charles / Yvain), créée par Mistinguett, véritable tube qui sera enregistré à plusieurs reprises par les accordéonistes musette. Quant à la marche, elle se nomme désormais volontiers « one-step ». Elle peut être binaire ou ternaire (on parle alors de « 6/8 one-step ») alors que le paso-doble est exclusivement binaire. Parallèlement, une façon de danser sur la musique de bal musette se fixe de sorte que, comme le constate Sophie Jacotot, on assiste à « la cristallisation du genre musico-chorégraphique appelé "musette" »(30). Dans le même temps, trois danses très prisées à la Belle Époque – la mazurka, la polka et la scottish – disparaissent progressivement des bals parisiens. Mazurkas et polkas vont se maintenir néanmoins dans le répertoire musette des accordéonistes de l’entre-deux-guerres sous la forme de compositions instrumentales virtuoses, les « mazurkas à variations » et les « polkas à variations ». L’accordéon chromatique unisonore, plus apte à jouer les nouvelles compositions et doté de deux claviers transpositeurs, s’impose au début de l’entre-deux-guerres pour faire danser Paris, au détriment des systèmes bisonores (diatonique ou mixte).
Si les musiciens de bal continuent à interpréter à haute dose des chansons à la mode de façon instrumentale dans les années 1920 comme c’était le cas avant la Grande Guerre, l’essor du musette instrumental est remarquable. Émile Vacher, les frères Péguri ou encore Joseph Colombo composent à cette époque des mélodies qui vont devenir des standards pour les accordéonistes de bal musette. C’est aussi à cette époque que le son du « trois voix musette » est adopté pour le musette parisien, notamment avec la diffusion importante des accordéons italiens fabriqués à Vercelli. Les modèles des marques Cooperativa Armoniche et Ranco, produits dans cette ville, étaient en effet souvent accordés avec trois lames actionnées par bouton du clavier droit, ce procédé permettant de produire un vibrato important.
Après la Grande Guerre, on retrouve très tôt les musiciens manouches dans les orchestre musette. Ils ne sont pas accordéonistes mais accompagnateurs, troquant la plupart du temps la guitare pour le banjo, plus sonore. Mattéo Garcia accompagne Émile Vacher dès 1920. L’année suivante, Gusti Mahla rejoint l’orchestre de Vacher. C’est Gusti qui compose la célèbre valse « Reine de Musette », qui sera déposée par le pianiste Jean Peyronnin (le seul accompagnateur de Vacher sachant écrire la musique). Par ailleurs, le célèbre Django Reinhardt commence sa carrière en accompagnant au banjo – et de façon très virtuose malgré son jeune âge – des accordéonistes tels que Guerino, Gardoni, Alexander, Vaissade, Marceau… D’une façon générale, les musiciens manouches jouent probablement un rôle important dans l’esthétique des compositions instrumentales. D’autres banjoïstes apparaissent régulièrement sur les disques enregistrés dans l’entre-deux-guerres : Lucien Bélliard, Julien Latorre, Manuel Puig, Eugène Yoos…
Aux côtés de l’accordéon et du banjo, l’ancêtre de la batterie, le « jâse »(31), trouve une place de choix. Offrant un accompagnement rythmique puissant et apprécié, il vient remplacer les pieds qui battent la mesure en cadence, comme c’était l’usage dans les bals antérieurs à 1914. D’autres instruments viennent compléter les orchestres de l’époque ; on rencontre fréquemment le saxophone, le violon ou le piano mais aussi, plus rarement, des instruments tels que le xylophone ou le sifflet à coulisse.
Si l’orchestre ou le piano s’imposent encore au début des années 1920 pour accompagner les chansons, l’accordéon va se faire une place progressivement. En 1921, Damia se fait accompagner sur scène par un accordéoniste dans « Ma gosse », opérette réaliste. Au disque, Emma Liébel est la première vedette de la chanson à enregistrer avec de l’accordéon(32) en guise d’accompagnement, en 1925. C’est la naissance de la chanson musette. Dans les années qui suivent, les grandes chanteuses populaires telles que Fréhel, Berthe Sylva ou Édith Piaf sont accompagnées sur scène ou dans leurs disques par des accordéonistes. Alors que le musette purement instrumental côtoie la chanson musette dans la discographie de l’entre-deux-guerres, le chant est absent des bals musette, hormis quelques refrains parfois chantés. Toutefois, les musiciens de bal reprennent beaucoup de chansons sur leurs instruments ; chez les musiciens routiniers en milieu rural, le répertoire non traditionnel est d’ailleurs constitué essentiellement de chansons parisiennes. Il y a fort à parier que le répertoire musette purement instrumental, dès qu’il devient très virtuose, devient inaccessible pour la plupart des musiciens populaires jouant à l’oreille.
Les années 1930 sont marquées par le développement des dancings musette, plus grands, moins crasseux. Les grandes salles des dancings ne permettant plus de récolter rapidement les jetons de bal à la moitié de la danse comme c’était autrefois l’usage(33), il faut désormais payer son entrée au bal. Après avoir été associé aux bas-fonds de Paris, le musette semble être à la recherche de respectabilité. Mais parallèlement à cet essor des dancings musette, les petits bals musette « à l’ancienne » sont en perte de vitesse. En 1950, Fernand Trignol, comédien, auteur et ancien apache, est formel : « Le bal musette a évolué terriblement, c’est les dancings maintenant… Y a plus un bal musette ! (…) En 1934 y avait déjà plus de bal musette, le dernier était à la rue de Valence(34) (…) En cherchant bien, du côté de Montreuil, Fontenay, Bicêtre, Nogent, y en a encore… Par exemple y en a plus un où on ramasse la monnaie, vous savez ! »(35)
Si les lieux où l’on vient danser musette évoluent au cours des années 1930, il en est de même pour la musique. Évolution du répertoire tout d’abord, avec l’arrivée timide de quelques danses sud-américaines comme la rumba ou la biguine. Évolution des sonorités des orchestres musette ensuite, avec le développement d’une nouvelle esthétique mêlant musette instrumental et jazz américain, le « swing musette ». Guérino en est le pionnier, Gus Viseur et Tony Muréna lui donnent ses lettres de noblesse. Le vibrato de l’accordéon y est moins prononcé, l’accordage à trois voix musette alors en vogue étant délaissé pour un accordage « swing » à deux voix resserrées, déjà en vogue aux États-Unis depuis plusieurs années. L’accompagnement se fait à la guitare manouche et non plus au banjo. Comme dans le jazz, des improvisations sont prévues sur certaines parties. Le swing, qui signifie « balancé » en anglais, est introduit dans la valse musette : les deux croches d’un temps ne sont plus forcément d’une durée égale, la première croche est allongée quand la deuxième est plus courte. Enfin, les accordéonistes choisissent volontiers d’américaniser leurs prénoms (Gus pour Gustave, Tony pour Antonio…). À la fin des années 1930, les esthétiques musette se sont donc diversifiées, la sonorité emblématique du registre « trois voix musette » côtoyant les sonorités plus modernes et plus jazzy du registre « deux voix swing ».
Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de l’amplification sonore favorise les dancings et les grands bals en plein air ou sur bal-parquet avec accordéon, accentuant une tendance déjà observée à la fin des années 1930. Les sonorités du bal populaire se retrouvent par ailleurs une nouvelle fois modifiées avec l’avènement de l’électrification des instruments à partir des années 1950, l’accordéon se faisant dès lors accompagner par des guitares ou des claviers électriques. En outre, on assiste au développement des galas d’accordéon et des thés dansants musette parallèlement à l'essor des salles polyvalentes. Évolutions techniques, économiques, culturelles et sociales ne pouvaient que précipiter la fin des bals musette – entendons ici « bal musette » au sens de petit bal acoustique en intérieur, avec une piste pouvant accueillir une dizaine de couples. Mais si le bal musette à l’ancienne a disparu, un imaginaire s’est développé et persiste encore de nos jours. Depuis les années 1950, le cinéma ou la chanson française célèbrent régulièrement la musique et la danse des bals musette de la première moitié du XXe siècle. Aux yeux des touristes du monde entier, le musette, symbole d’une époque révolue, est perçu à juste titre comme la musique populaire du vieux Paris. Il convient de rappeler à quel point ce genre musical a suscité l’intérêt du public parisien et provincial : à titre indicatif, entre 1922 et 1939, véritable âge d’or du musette, plus de 6000 disques 78 tours d’accordéon musette sont enregistrés à Paris, la TSF jouant un rôle important pour la diffusion du musette dès sa création en 1924. Synthèse des différents courants musicaux de l’entre-deux-guerres et des années qui précèdent la Grande Guerre, le musette mêle l’esthétique des chansons de music-hall ou de café-concert et les influences des musiques d’Auvergne, d’Italie, d’Amérique du nord et du sud, d’Espagne ou encore de la communauté manouche. Prenant racine dans un contexte de misère sociale, d'immigration, de xénophobie qui est celui des profondes mutations économiques et culturelles de Paris au tournant du XXe siècle, le genre musette métabolise les crispations identitaires et s'en extraie dans un vaste processus d'acculturation : c'est un immense et joyeux métissage. Ce sens de la fête populaire et cet esprit d’ouverture à la différence semblent aujourd'hui plus précieux que jamais.
Je remercie très chaleureusement toutes les personnes qui ont accepté de m’apporter leur aide à la rédaction de cet article, que ce soit par le biais d’échanges sur l’histoire du musette, par le partage de documents iconographiques ou par leurs conseils avisés après relecture : Romana Barbui, Jacques Cheyronnaud, Bernard Coclet, Nicolas Crouvizier, Daniel Denécheau, Véronique Di Mercurio, Françoise Étay, Michel Esbelin, Jean-Pierre Foucart, François Gasnault, Yvon Guilcher, Sophie Jacotot, Philippe Krümm, Victor Laroussinie, Antoine Leclercq, Sophie Levain, Claude Quintard, Emiliana Roviaro, Jean-Pierre Simonnet, Christian Van Den Broeck.
Tiennet Simonnin
(1) La « musette » désigne à l’origine un sac ; par métonymie, elle devient synonyme de cornemuse, instrument à vent pourvu d’un sac utilisé comme réserve d’air.
(2) MONICHON Pierre & JUAN Alexandre, L’accordéon, Éditions Cyrill-Demian, 2012
(3) Terme par lequel les Auvergnats désignent la musette, formé à partir du mot cabra (« chèvre » en occitan).
(4) AJALBERT Jean : Au cœur de l’Auvergne, Flammarion, 1922, rééd. Nabu Press, 2011
(5) Le Figaro, 7 mars 1879, in Pierre MONICHON Pierre & JUAN Alexandre, L’accordéon, Éditions Cyrill-Demian, 2012
(6) Gil Blas, 28 octobre 1882
(7) L’Auvergnat de Paris, 22 mai 1898
(8) L’Auvergnat de Paris, 17 décembre 1899
(9) Ce répertoire moderne est également bien représenté chez les musiciens routiniers du Massif central, le répertoire de café-concert des années 1880 à 1914 étant particulièrement abondant dans les collectes menées dans les années 1950 à 1980.
(10) WARNOD André, « Le Bal des Gravilliers », Comœdia, 26 août 1912. L’article est republié l’année suivante dans Bals, cafés et cabarets, Figuières, 1913
(11) Sur un accordéon, on parle de clavier bisonore pour un clavier qui produit deux sons différents par bouton, l’un en poussant le soufflet, l’autre en le tirant ; à l’inverse, on parle de clavier unisonore quand la note obtenue en poussant et en tirant est la même.
(12) MOURLANE Stéphane & PAÏNI Dominique, Ciao Italia ! Un siècle d'immigration et de culture italiennes en France, co-édition du Musée national de l’histoire de l’immigration et des Éditions de La Martinière, 2017
(13) Ibid.
(14) Le Journal, 31 août 1902
(15) CHAUTARD Émile, La vie étrange de l’argot, Bartillat, 2013
(16) On parle d’anacrouse quand une ou plusieurs notes précèdent le premier temps fort d’une mélodie.
(17) PÉGURI Louis & MAG Jean, Du bouge au conservatoire, Wordpress, 1950
(18) L’Intransigeant, 2 septembre 1900
(19) Le supplément, 3 juin 1905
(20) Le Rire, 21 août 1909
(21) Le supplément, 19 décembre 1905
(22) KALIFA Dominique, Les Bas-fonds, histoire d’un imaginaire, Seuil, 2013
(23) « L’Apachomanie », La Liberté, 24 mai 1912
(24) Comœdia, 26 juin 1908
(25) Excelsior, 27 janvier 1911
(26) HALLAYS André, À travers l’Exposition de 1900, Perrin et Cie, 1901, cité dans DÉCORET-AHIHA Anne, Les danses exotiques en France, 1880-1940, Centre National de la Danse, 2004
(27) VAN DEN BROECK Christian & CRAVIC Dominique, Les As du Musette, des Apaches aux Zazous, éditions Belgatone, 2023
(28) KALIFA Dominique, Les Bas-fonds, histoire d’un imaginaire, Seuil, 2013
(29) Franc-tireur, 15 février 1952
(30) JACOTOT Sophie, Danser à Paris dans l’entre-deux-guerres, Nouveau monde éditions, 2013. L’expression « genre musico-chorégraphique » est proposée par Michel Plisson pour décrire des formes culturelles mêlant étroitement rythme musical et rythme corporel.
(31) Terme provenant d’une déformation du mot « jazz ».
(32) Selon les disques, l’accordéoniste est Joseph Colombo ou Théo Bayot.
(33) La pratique de payer à la moitié de la danse est héritée des bals musette auvergnats du XIXe siècle où l’habitude était de scinder toutes les danses : lorsque le musicien s’arrêtait, un préposé criait « Passez la monnaie ! » et récoltait des jetons achetés au préalable par les danseurs, puis le musicien terminait la danse en jouant la « moitié » ou « deuxième moitié ». Les jetons de bal disparaissent progressivement au cours des années 1930.
(34) Il s’agit probablement du bal situé au 6 rue de Valence dans le 5e arrondissement, d’abord tenu par le cabretaire François Cancelier puis par Louis Seguis.
(35) « Fernand Trignol, les mémoires d’un truand de Paname », épisode 1/6, émission de France Culture du 23 juin 2015 d’après une archive INA de décembre 1950. URL : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-fernand-trignol-les-memoires-d-un-truand-de-paname
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Tiennet Simonnin - 2025
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